German Fernandez Vavrik, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) – USPC; Anne-Laure Joigneau-Conte, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) – USPC et François Taddei, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) – USPC

Les innovations et les expérimentations éducatives sont sans doute aussi anciennes que l’école. Des nombreux collectifs réfléchissent actuellement en France autour de ces sujets, souvent, sans avoir de contact entre eux. Récemment, la ministre de l’Éducation nationale a sollicité le directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires, le biologiste François Taddei, pour conduire une consultation sur l’innovation dans l’apprentissage tout au long de la vie, de la petite enfance jusqu’à la formation continue. Cette consultation est ouverte au public sur la plateforme apprendredemain.fr.

François Taddei, vous préconisez le besoin de « faire évoluer » la société et les manières d’apprendre, pourriez-vous expliquer cette idée ?

Les Nations Unies ont défini 17 grands défis, les objectifs du développement durable, dont le numéro quatre, l’objectif d’un apprentissage de qualité tout au long de la vie pour tous. Ce défi est quasiment identique à celui que la ministre m’a confié.

Personne n’a vraiment la solution à la question « comment est-ce qu’on apprend tout au long de la vie de manière optimale ? ». On a besoin de mobiliser l’intelligence collective pour penser à ce sujet là. C’est d’autant plus vrai que les humains ont besoin de s’adapter aux changements produits par la révolution technologique, par le développement exponentiel des capacités de l’intelligence artificielle et de la robotique. On ne peut pas prédire quel type de métier auront nos enfants, donc on a besoin de les former, pas simplement pour connaître les solutions d’hier, mais aussi pour être capables de contribuer aux solutions de demain.

En mutualisant les points de vue, l’intelligence collective permet de résoudre des problèmes qu’on ne sait pas résoudre seuls, parce que les objets complexes nécessitent de combiner des regards différents. Typiquement des gens qui peuvent venir de disciplines différentes, qui peuvent avoir des points de vue institutionnels ou personnels différents.

On pourrait imaginer que la Rue de Grenelle le [ministère de l’Éducation nationale] décide de toutes les évolutions à venir de manière très pyramidale. Je ne pense pas que ce soit la meilleure solution. Le pari de cette mission, c’est de mobiliser l’intelligence collective au service de ce besoin de réinvention, non seulement de l’école, mais aussi des procédés qui font évoluer l’école.

Cette tension que vous évoquez, entre « Rue de Grenelle » et « intelligence collective », correspond-elle à l’opposition classique entre l’expérimentation conduite par l’État et l’innovation provenant des acteurs de terrain ?

Il y a une autre tension sous-jacente. Le numérique est profondément horizontal, l’Éducation nationale, pour des raisons historiques, est profondément verticale. L’école et l’université ont besoin d’évoluer. L’innovation de terrain, elle, existe. La volonté d’expérimentation d’en haut, elle, existe. Mais est-on capable d’articuler les deux aussi sereinement que possible ? On sait qu’une injonction venue d’en haut, même si c’est la meilleure solution, va être socialement mal perçue par le simple fait qu’elle vient d’en haut.

On a besoin de quelques grands principes, mais il faut aussi donner à l’enseignant la possibilité d’expérimenter, de voir ce qui marche avec un enfant particulier, dans un contexte particulier. Les idées et les principes peuvent être généraux et partagés, mais les applications pratiques doivent être adaptées à chaque contexte spécifique. Il faut faire confiance aux enseignants et aux élèves dans leur capacité à optimiser, sous les contraintes locales, la meilleure stratégie pour chaque apprenant.

Pour certains, l’individuation de la relation enseignant-élève s’inspire d’une idéologie individualiste peu soucieuse du collectif. Comment le respect de l’individu et du particulier peut-il être compatible avec les valeurs de solidarité, par exemple ?

Quand on parle d’intelligence collective, on parle aussi d’action collective et de vie collective. Si on admet nos différences, ça peut nous aider à vivre ensemble. Étant donné ces différences, comment fait-on pour maximiser notre capacité d’action et d’intelligence collective ? Le système français aujourd’hui est très individualiste. D’autres pays, avec une approche qui s’appuie plus sur les travaux collectifs, permettent de mieux développer les individualités de chacun.

Ce qu’on veut, c’est plus de coopération au sein de la classe, de l’établissement, entre enseignants, entre les différentes catégories d’acteurs de l’éducation. Nous avons besoin de beaucoup plus de confiance, de plus de capacité de chacun à progresser et à réfléchir sur soi et au collectif. Je pense que l’opposition qu’il peut y avoir entre la personnalisation et le collectif, de manière assez traditionnelle, doit être dépassée.

Dans cette consultation, basée en grande partie sur la plateforme ouverte apprendredemain.fr, diverses formes de participation apparaissent. Certains acteurs éducatifs appuient leur contribution sur leur expérience propre à l’école ; d’autres font allusion aux expériences ailleurs ; d’autres, enfin, se limitent à énoncer leurs valeurs. Comment rassembler ces diverses formes de participation, selon votre conception de l’intelligence collective ?

Il faut réfléchir à ce qui fait autorité. Le philosophe Michel Serre, par exemple, considère que l’autorité, c’est ce qui fait grandir. Pour chacun, ce qui fait autorité, au minimum, c’est d’abord son expérience propre. Puis, éventuellement, comme les gens sont ouverts et intelligents, ils peuvent débattre avec les autres et arriver à plus de réflexivité. Les travaux de recherche ont aussi ce type de souci. Ils permettent de voir très précisément certains aspects, mais ils peuvent en rater d’autres. Plus on a des aspects différents, plus on enrichit la vision.

Si des solutions s’avèrent efficaces dans un certains contexte, et si on sait les documenter et les partager, alors on peut les essayer dans un autre contexte. Le but n’est pas de les copier d’une manière stéréotypée, mais de s’en inspirer et de les réadapter. Plus on aura de données, plus on aura d’informations, plus on aura de connaissances, plus on aura partagé ce qui marche, plus on aura des chances d’apporter des solutions adaptées à chacun.

The Conversation

German Fernandez Vavrik, Sociologue de l'éducation, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) – USPC; Anne-Laure Joigneau-Conte, , Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) – USPC et François Taddei, directeur, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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